26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 06:19

L’autorité et l’infaillibilité des conciles œcuméniques (partie I )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mgr Basile (KRIVOCHEINE) 


Exposé présenté à la sous-commission « Autorité des conciles œcuméniques » du dialogue théologique orthodoxe-anglican à Rymnic-Vylciu (Roumanie) en 1974 et publié dans le Messager de l’exarchat du patriarche russe en Europe occidentale, n° 85-88 (1974)(1) 

I. Sources de l’autorité et de l’infaillibilité des conciles œcuméniques 


Quelles sont les sources de l’autorité des conciles œcuméniques, le fondement de leur infaillibilité ? La seule réponse orthodoxe possible à cette question si importante doit être : le Christ, l’Esprit Saint, l’Église. Le Christ, le « Verbe » de Dieu, nous révélant le Père (Mt 11, 27) et étant lui-même « la voie, la vérité et la vie » (Jn 14, 6) dont le Père a dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé… écoutez-le » (Mt 17, 5), qui « enseign[e les foules] comme ayant autorité » (Mt 7, 29). Avant son ascension, il a promis aux apôtres de demeurer avec eux à jamais : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 20). Le Christ, en tant que chef de l’Église qui est son corps, demeure toujours avec elle par son Esprit Saint qu’il a envoyé de son Père aux apôtres. C’est ce Saint Esprit qui enseigne toute la vérité à l’Église, car il est « l’Esprit de vérité » (Jn 14, 17).

 

« Mais quand il viendra, l’Esprit de vérité vous introduira comme un guide dans la vérité entière » (Jn 16, 13), dit le Seigneur, en promettant aux apôtres qu’ils seront conduits par l’Esprit Saint. L’Église, dont le chef est le Christ lui-même, et qui est le temple du Saint Esprit, ne peut se tromper. C’est là une croyance fondamentale de l’Église orthodoxe. Et les conciles sont l’expression suprême et la plus pleine de l’Église une, sainte, catholique et apostolique, que le Christ a « aimée », « sanctifiée », « pour se préparer une Église resplendissante, sans tache ni ride, ni rien de semblable, mais sainte et immaculée » (Ep 5, 25-27). 
Le Christ a également béni et sanctifié la voie de la conciliarité (sobornost) en disant : 
« Car, là où deux ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20). 

Le Christ, ayant promis à Pierre que « sur cette pierre (2) je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Mt 16, 18), lui donne le pouvoir de lier et de délier. Il donne également ce même pouvoir à tous les apôtres dans leur ensemble, conciliairement, disant : « Je vous le dis en vérité, tout ce que vous lierez sur terre sera lié au ciel, et tout ce que vous délierez sur terre sera délié au ciel » (Mt 18, 18). Sous un aspect négatif, ce pouvoir suprême de l’Église de lier et de délier est ainsi formulé par le Christ : « S’il [le frère] ne veut pas les écouter, dis-le à l’Église ; que s’il n’écoute pas l’Église non plus, traite-le comme un païen et un publicain » (Mt 18, 17). Dans bien des passages du Nouveau Testament, les apôtres apparaissent comme étant investis de pouvoir par le Christ lui-même, et ces passages soulignent la nécessité de leur obéir, ainsi qu’à leurs successeurs : « Qui vous écoute m’écoute, qui vous méprise me méprise, et qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16). 

Les apôtres ont été revêtus de « force » lorsque l’« Esprit Saint » est descendu sur eux (Ac 1, 8). Ils ont également reçu du Seigneur le commandement d’être ses « témoins […] jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8). Après la Pentecôte, après que la plénitude du Saint Esprit fut sur eux et lorsque les besoins de l’Église l’exigèrent, ils ont convoqué à Jérusalem un concile (Ac 15), modèle de tous les conciles œcuméniques d’Église à venir. À ce concile, avec audace et de plein droit, les apôtres ont proclamé qu’« il a paru bon, à l’Esprit Saint et à nous » (Ac 15, 28) de décider, de trancher de la façon dont nous l’avons fait. En résumé, l’autorité et l’infaillibilité des conciles œcuméniques en tant qu’expression de l’autorité et de l’infaillibilité de l’Église dans sa plénitude ont leurs racines dans l’Écriture Sainte.

 
II. L’Écriture Sainte et les conciles œcuméniques

 
La relation entre l’Écriture Sainte et les décisions des conciles œcuméniques du point de vue de leur autorité réciproque a été largement commentée chez les anglicans, elle l’a été moins chez les orthodoxes. Pour les anglicans, il existe à cet égard un document fondamental : l’article 21 de la foi qui proclame que les décisions des conciles n’ont ni force ni autorité s’il est impossible de prouver qu’ils ont leur source dans l’Écriture Sainte .(3) En d’autres termes, toute autorité en soi est refusée aux conciles. De façon générale, il semble que les anglicans reconnaissent les décisions des conciles œcuméniques du moment qu’elles ne sont pas en contradiction avec l’Écriture Sainte, sans toutefois préciser qui possède la compétence pour décider si une telle contradiction existe ou n’existe pas (un autre concile, ou chaque chrétien individuellement ?). Autrement dit, une autorité dérivée et moindre est reconnue, dans tous les cas, à certaines décisions conciliaires, en comparaison avec l’autorité de l’Écriture Sainte. Du côté orthodoxe, bien qu’il n’y a jamais eu de décision globale à ce sujet, on affirme souvent que les décisions dogmatiques des conciles œcuméniques ont une autorité et une force égales à celles de l’Écriture Sainte, car ces décisions expriment la tradition ecclésiastique authentique qui, ensemble avec l’Écriture Sainte, forment deux sources de la foi orthodoxe d’autorité égale .(4) 

Pareille affirmation est exacte quant à son essence, mais sa formulation peut cependant engendrer des malentendus. Premièrement, parce que ses mots sont ceux de l’enseignement du concile de Trente, plus ou moins abandonné par les catholiques-romains eux-mêmes après Vatican II, sur les deux sources de foi. Du point de vue orthodoxe, il serait plus exact de parler d’une seule source, notamment de l’unique tradition apostolique, exprimée par l’Église dans l’Écriture Sainte, les décisions des conciles, les œuvres des Saints Pères, la liturgie, etc. Ensuite – et c’est plus important –, parce qu’une telle affirmation ne tient pas suffisamment compte de la différence essentielle qui existe entre l’Écriture Sainte et les décisions des conciles. L’Écriture Sainte est une révélation divine, inspirée par le Saint Esprit qui nous révèle et nous annonce des données nouvelles sur le Dieu trine, ses grandes œuvres, accomplies pour notre salut, tandis que les conciles œcuméniques n’ont jamais prétendu fournir, par leurs décisions, des révélations sur quelque chose qui était inconnu avant eux, mais simplement une interprétation, une explication et une mise en relief inspirées de l’Écriture Sainte et de la tradition apostolique en général. C’est pour cela que la question d’une éventuelle contradiction possible entre l’Écriture Sainte et les conciles œcuméniques, du degré comparé de leur autorité, ne doit jamais se poser pour des théologiens orthodoxes.

 
III. Traits caractéristiques d’un concile œcuménique 


Il n’est pas facile d’établir avec précision et en harmonie avec les faits historiques les critères de l’« œcuménicité » d’un concile et la manière de distinguer un concile authentique d’un concile plus restreint, soit même d’un pseudo-concile. Un concile œcuménique, cela va de soi, doit représenter la plénitude de l’Église, mais cette plénitude ne peut être comprise dans un sens géographique ou littéral, ainsi que l’histoire nous le montre. Ce n’est qu’une minorité des évêques de l’époque qui assistait aux conciles œcuméniques (près d’un dixième au concile de Nicée en 325, selon certains historiens), tandis qu’au IIe concile (à Constantinople, en 381), Rome et l’Occident en général ne furent pas du tout représentés. Inutile de dire que sa reconnaissance par l’empereur, ni même par le pape ne peut être considérée comme un facteur décisif pour qu’un concile reçoive le titre d’ « œcuménique ». 


La reconnaissance par l’empereur avait plus d’importance pour l’État que pour l’Église ; une telle reconnaissance n’a pas contribué à ce que les réunions monophysites du Ve siècle ou le concile iconoclaste de 754, reconnus « œcuméniques » par les empereurs de l’époque, deviennent d’authentiques conciles œcuméniques. La reconnaissance par le pape, toute importante qu’elle ait été en tant que signe d’unanimité, fut déclarée superflue pour la reconnaissance du IIe concile œcuménique. En règle générale, la reconnaissance par l’Église détermine le fait qu’un concile soit considéré comme œcuménique. Et ceci est, sans aucun doute, le cas pour les sept conciles anciens. Deux facteurs ont une signification décisive dans ce processus de reconnaissance par l’Église : la conscience du concile, qui s’estime et se proclame comme étant œcuménique ; la reconnaissance, par le concile suivant, de l’œcuménicité du précédent, soit au contraire, le rejet des prétentions de celui-ci à l’œcuménicité. 

Ainsi, par exemple, le concile de Chalcédoine (451) a rejeté les prétentions à l’œcuménicité du second concile d’Éphèse (449). Des violences, des irrégularités dans son déroulement et surtout des déviations d’ordre doctrinal furent les raisons essentielles de ce rejet. Parfois, c’est le peuple qui n’acceptait pas le nouveau concile, ainsi que cela eut lieu notamment dans le cas du pseudo-concile de Florence (1438-1439). Plus tard, le rejet fut confirmé par le concile de Constantinople de la fin du XVe siècle, bien que ce ne fut qu’un concile local. Il serait néanmoins difficile de formuler en termes canoniques une telle interférence du peuple. Nous ne pouvons qu’affirmer que les conciles œcuméniques, étant des événements charismatiques, ne peuvent être caractérisés en termes juridiques. Derrière les conciles, il y a toujours l’Église elle-même, nantie du « grand don de vérité » [μέγα χάρισμα ἀληθείας], c’est à elle qu’appartient le dernier mot dans les questions de foi. 



Notes: 
1. Cette « pierre » est généralement interprétée par les Pères anciens non tant comme la personne même de l’apôtre que comme la « confession de foi » de celui-ci (Mt 16, 16). Voir notamment N. AFANASSIEFF, N. KOULOMZINE, J. MEYENDORFF et A. SCHMEMANN, La Primauté de Pierre dans l’Église orthodoxe, Neuchâtel, Éd. Delachaux & Niestlé, 1960, et B. BOBRINSKOY, Le Mystère de l’Église, Paris, Éd. du Cerf, 2003, p. 256-288 (NdR). 

2. « Wherefore things ordained by [General Councils] as necessary to salvation have neither strength nor authority, unless it may be declared that they be taken out of Holy Scripture », The Thirty Nine Articles of Religion (1563) (NdR). 


3. Voir, par exemple, J. KARMIRIS,
Τὰ Δογματικὰ καὶ Συμβολικὰ μνημεῖα τῆς Ὀρθοδόξου Καθολικῆς Ἐκκλησίας [Monuments dogmatiques et symboliques de l’Église orthodoxe catholique], Athènes, 1952, t. I, p. 2. 


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Extrait du livre 
Dieu, l'homme, l'Église 
Lecture des Pères 
Les Éditions du CERF, 2010, Paris 

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Published by Orthodoxes d'Europe - dans Foi et sacrements

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