Elle débarque tout juste de Californie et c'est sa première Assemblée du Désert. Rebecca Kuiken, pasteur américaine ordonnée en 1986 s'apprête à rejoindre l'équipe pastorale d'Alès
: « Un vieux rêve que d'officier en France… ». Pour cette descendante de huguenots émigrés aux Pays-Bas puis aux Etats-Unis, cette assemblée est
l'occasion de renouer avec ses origines en ayant un contact direct avec cette Histoire protestante à la fois familiale et lointaine. « Ca me fait vraiment
plaisir d'être ici. Retrouver l'esprit huguenot, esprit de résistance à la culture d'une époque est ressourçant. ».
Dans l'Assemblée, beaucoup de témoignages vont en ce sens : « Être protestant c'est une Révolution ! » s'enthousiasme un
participant, « heureusement qu'il existe des moments comme celui-ci pour se rappeler qu'être protestant c'est protester ». Ici, tout le monde se connaît,
ou presque. L'Assemblée donne l'impression d'être une grande famille. Avec la chaleur et la convivialité qui vont avec. Les sandwichs partagés avec ceux qui n'ont pas prévu leur pique-nique. Mais
aussi, le risque d'un repli identitaire soulevé par Laurent Schlumberger, pasteur et président du conseil de l'Eglise réformée de France comme « la tentation
du club, tentation de l'orgueil, à laquelle il faut résister ». A quelques minutes de la Cévenole, chant de résistance traditionnel, un homme s'emporte : « ma femme est catholique mais elle rejette le Pape… qui dira que ce chant n'est pas d'actualité ! ».
Ce genre de réaction est pourtant très minoritaire. Pour l'immense majorité des protestants de l'Assemblée, la portée de l'événement n'est pas de faire le procès de l'ennemi d'hier mais de s'interroger sur l'identité protestante au XXIe siècle. Aussi, quand Laurent Sclumberger annonce le temps comme thème de sa prédication, l'assemblée retient son souffle. « Récemment, le temps s'est emballé et les changements qui se faisaient sur plusieurs générations se font aujourd'hui à l'intérieur d'une génération ». Il évoque la « fatigue sociale », le « désarroi » lié à « l'effondrement des utopies à la fin du XXè siècle », le climat « d'agitation figée, de course sur place, d'immobilité frénétique », puis le Désert de l'Ancien Testament, celui où le peuple d'Israël marcha pendant quarante ans, désespéré pour avoir oublié qu'il ne cherchait pas seulement une terre mais qu'il avait « rendez-vous ». « Aujourd'hui, nous vivons un temps qui s'effondre sur lui-même et quand le temps ne va nulle part, c'est l'Enfer ». Appelant à ne pas oublier de rendez-vous avec Dieu pour sortir de l'épuisement et du désespoir, il a développé l'idée d'une fraternité spirituelle : « Avant, il y avait des clans familiaux, mais dès lors que Dieu lui donne rendez-vous, Israël se constitue en peuple ».
Rendez-vous comme celui de ce dimanche où certains étaient venus s'installer dès 6h30 afin de ne pas manquer une goutte : « ce matin nous avions rendez-vous
et c'est pour ça que nous sommes venus, comme tous les ans, depuis cent ans ». Malgré la pluie battante qui renforçait la solennité de l'instant, transformant la foule, répartie dans la
forêt, sur des installations de fortune et des rochers, en une marée de parapluies. Patrick Cabanel, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Toulouse-Le Mirail, a quant à lui parlé
d'un « pèlerinage métaphorique » : « Les gens qui viennent ici font des gestes qui ressemblent à ceux du
pèlerin… D'ailleurs ils confondent souvent le lieu, le Musée du Désert et l'événement, l'Assemblée. On retrouve les siens et on s'éprouve comme une force et une multitude, et c'est ce qui manque
le plus aux protestants qui sont une minorité ». Une vision partagée par Rebecca Kuiken, la pasteur américaine, qui passe des Etats-Unis où le protestantisme est majoritaire (environ 51% de
la population) à la France où il est minoritaire (environ 3%) : « Les Etats-Unis sont en train de se laïciser et en Californie, s'affirmer comme protestant,
croyant, n'est plus aussi facile qu'avant. Nous nous demandons comment gérer cette laïcisation sans perdre notre identité mais aussi sans nous replier sur nous même. En ce sens l'ERF peut nous
apporter son expérience. »
Eviter le repli, aller vers les autres. C'est le pari fait par les quatre étudiants en théologie d'ERF on Tour, partis à la rencontre des habitants de l'île de Noirmoutier cet été
: « Non pas pour évangéliser abruptement mais tout simplement parler de notre foi, du sens de nos études, discuter. » Présents à l'Assemblée, ils
assument leur héritage mais veulent regarder vers l'avenir, un avenir qui se joue sur le terrain, à travers les rencontres. Ils portent un T-Shirt noir, avec un rabat fendu dessiné sur le devant
et l'inscription « Universal Priesthood »(sacerdoce universel) imprimée au dos. Pour cela, ils disent avoir reçu des regards, « choqués, amis ou étonnés ». A la fois membres du club et pèlerins d'un tout nouveau genre.