17 août 2011 3 17 /08 /août /2011 05:42




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L'Ukraine offre toujours l'image d'un patchwork compliqué de confessions et d'Églises rivales et «concurrentes». L'orthodoxie, majoritaire sur cette terre qui vit le baptême de l'ancienne Rous, est divisée en plusieurs Églises qu'opposent toujours de vifs antagonismes, tandis qu'elle doit cohabiter avec deux Églises gréco-catholiques (uniates) et une Église catholique latine, qui poursuivent leur relèvement, vingt ans après la dissolution de l'URSS et l'indépendance du pays. Ces Églises «traditionnelles» doivent, de surcroît, faire face à l'émergence de nouvelles Églises protestantes, très dynamiques. 

Femme devant une icône d'un des monastères de la Laure de Kiev (© 2011 Laurent Geslin).


L'Ukraine est l'un des plus grands pays d'Europe, et sa complexité confessionnelle n'est que le résultat de son histoire et de son positionnement géopolitique. Aujourd'hui voisine de l'Union européenne - qu'elle espère rejoindre un jour - l'Ukraine a été ballottée au cours des derniers siècles entre l'influence russe et celles des différentes puissances qui ont dominé le centre-est du continent européen: grand-duché polono-lituanien, puis Empire des Habsbourgs.

L'ancrage de l'Ukraine dans le monde de la chrétienté orthodoxe est bien sûr lié à sa relation historique avec la Russie, mais, même en ce domaine, rien n'est simple: depuis l'indépendance du pays, proclamée le 24 août 1991, plusieurs Églises orthodoxes revendiquent l'autocéphalie, entendant soustraire l'Ukraine à l'influence de l'Église russe. Au cours des dix dernières années, une certaine «simplification» de la situation des Églises orthodoxes s'est produite: divisées en factions rivales, les Églises ukrainiennes autocéphales dites «indépendantes» ont perdu pied en dehors d'étroits bastions dans l'ouest du pays, ne conservant guère leur influence que dans les importantes diasporas, notamment aux Amériques.

La partie se joue désormais principalement entre l'Église orthodoxe ukrainienne autonome placée sous l'autorité du patriarcat de Moscou, et l'Église orthodoxe ukrainienne du patriarcat de Kiev. Celle-ci constitue désormais, par le nombre de ses diocèses, de ses prêtres et de ses fidèles, l'une des principales Églises orthodoxes, tout en restant toujours privée de toute reconnaissance par la communion des Églises orthodoxes (à l'exception de l'Église, elles-même non reconnue, du Monténégro). Les deux Églises rivales jouissent aujourd'hui d'une influence sensiblement égale, mais aucune perspective de réconciliation ne semble envisageable.

Les différentes Églises catholiques, traditionnellement plus implantées dans l'ouest du pays, sont bien sûr le produit des influences politiques occidentales ou centre-européennes. Là aussi, la diversité est de règle, même si les relations entre l'Église gréco-catholique ukrainienne et l'Église latine sont au beau fixe.

Depuis l'indépendance, l'histoire politique et confessionnelle de l'Ukraine semble s'être toujours déclinée selon un paradigme est/ouest. L'est du pays, ainsi d'ailleurs que les régions méridionales du littoral de la Mer Noire, resté profondément marqué par l'héritage impérial russe puis soviétique, votait pour les partis «pro-russes», tout en restant massivement fidèle à l'Église du patriarcat de Moscou. L'ouest du pays, au contraire, était la terre des différentes Églises catholiques, mais aussi de l'affirmation d'une orthodoxie ukrainienne prétendant à l'autocéphalie et détachée de l'influence russe. Ces régions votaient pour les partis «pro-ukrainiens», se voulant les gardiens de l'identité nationale et de la langue ukrainienne. C'est aux régions centrales, et notamment à la capitale Kiev, que revenait le rôle de servir de «balance» entre ces deux blocs, de poids sensiblement égal.

L'Ukraine du surjik

En 2004, la «révolution orange» a semblé marquer un tournant pro-occidental décisif dans l'histoire du pays, tandis que les autorités cessaient de privilégier l'Église du patriarcat de Moscou. Toutefois, le «camp orange», miné par les dissensions permanentes entre ses deux principales figures, l'ancien Président Viktor Iouchtchenko et l'ancienne Première ministre Ioulia Timochenko, n'a pas tardé à voler en éclats, perdant le pouvoir au profit du Parti des régions et de son chef, Viktor Ianoukovitch, élu à la présidence de la République en février 2010.

Même si certains événements récents, comme le procès de Ioulia Timochenko, poursuivie pour abus de pouvoir, ont semblé raviver les antagonismes traditionnels qui dominent la vie politique du pays, il est pourtant manifeste que les grands affrontements politico-identitaires qui ont dominé les deux dernières décennies ne passionnent plus les Ukrainiens. Alors que chacun sait que l'intégration européenne du pays n'est pas un objectif de court ou de moyen terme, mais que l'Ukraine a besoin de cultiver de bonnes relations aussi bien avec ses voisins occidentaux qu'orientaux, c'est peut-être une sorte de «troisième voie» qui s'invente, plus par pragmatisme que par conviction idéologique, à l'image du surjik, ce dialecte «intermédiaire» entre le russe et l'ukrainien, massivement parlé dans les campagnes du pays.

Sur le plan confessionnel, malgré les blocages permanents qui perdurent entre les Églises orthodoxes des deux patriarcats rivaux, l'heure n'est plus, également, à la lutte acharnée pour le contrôle des édifices cultuels. Même si la question des titres de propriété des différentes Églises n'a pas été réglée, chacun campe désormais sur ses positions.

L'Ukraine est une terre de confins, de limes: c'est d'ailleurs ce que veut dire le nom du pays (Ukrajina). Son histoire a toujours été largement déterminée par le jeu des influences contrastées de ses puissants voisins. Sa scène confessionnelle est aussi, plus que jamais, dépendante des choix stratégiques des différents centres de pouvoir qui la polarisent. L'Église orthodoxe russe, sous l'influence du patriarche Kiril, s'orientera-t-elle vers une recentralisation des différentes Églises autonomes autour de Moscou? Le Vatican accédera-t-il aux demandes de l'Église gréco-catholique ukrainienne n'accéder au rang patriarcal, ce que Moscou considérerait assurément comme un nouveau casus belli?

Actuellement, Rome - comme, du reste, Constantinople - semble plutôt soucieuse de jouer l'apaisement avec Moscou, et cette situation pourrait contribuer à «geler» durablement la carte confessionnelle de l'Ukraine, tandis que l'Église du patriarcat de Kiev a peu de chances, du moins à court terme, de sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve. Surtout, ces questions ont probablement perdu beaucoup d'importance aux yeux des fidèles: selon de récentes enquêtes, un gros quart des orthodoxes du pays sont incapables, ou non désireux, de préciser si leur obédience va à Moscou ou à Kiev...

Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin


Cet article introduit une série de reportages de Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin sur la situation religieuse en Ukraine. Religioscope publiera prochainement trois autres articles de ces deux auteurs, consacrés aux Églises orthodoxes, aux Églises catholiques et à un pasteur évangélique en Ukraine.
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Published by Orthodoxes d'Europe - dans Le monde orthodoxe

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