En quittant Kirkuk nous réalisons combien nous nous y sommes attachés tant les rencontres que nous y avons faites ont été intenses. Sur la route de Sulaymania les check point se suivent à mesure
que nous quittons le désert et que des montagnes lui succèdent. Accueillis pour le déjeuner par le curé, abouna Ayman, nous comprenons vite que nos rencontres seront très différentes de celle de
Kirkuk, où les familles habitent encore leur ville d’origine. Abouna Ayman nous montre la grande salle paroissiale où il a accueilli plusieurs dizaines de réfugiés, après l'attentat du 31 octobre
à la cathédrale de Bagdad.
Quelques heures après notre arrivée, nous rencontrons plusieurs familles. Nous précisons qui nous sommes, le but de notre venue. Un
homme prend la parole, expliquant que chaque famille dans la salle a une histoire lourde à nous raconter. « Un matin, j'ai trouvé une lettre à mon nom. Nous étions menacés de mort. Ma famille et
moi devions quitter Bagdad sous 48h. Nous avons dû tout abandonner. Je suis parti en Syrie tandis que ma femme et mes enfants étaient heureusement accueillis ici ».
Une femme au regard triste prend la parole à son tour. Le père Ayman se charge de la traduction. Elle est arrivée de Bagdad il
y a une semaine. Suite à des menaces, sa famille a dû déménager une première fois au sein même de Bagdad et s'est installée dans le quartier de Dora. Appelé autrefois « le petit Vatican », cette
zone est l'une de celles où les persécutions sont aujourd’hui les plus violentes. Une nuit, leur propriétaire vient les sommer de quitter l'appartement sur le champ. Ils refusent. Surgit un
minibus dont les occupants les menacent de mort. La gorge de la femme se noue à mesure qu'elle raconte son histoire. Elle ne peut retenir ses larmes au moment où elle évoque les « accidents »
dont ses fils ont été victimes. L'un a eu l'audition endommagée suite à l'explosion d'une voiture piégée sur le chemin de son école, l'autre a eu le tympan arraché par le souffle de la bombe qui
a ravagé le magasin dans lequel il travaillait.
Walid arrive lui aussi de Bagdad. Il avait déjà fui Mossoul où sa femme était contrainte de porter le hijab et où plusieurs de
ses voisins ont été kidnappés. « En rentrant chez nous, nous craignions systématiquement d'être attendus par des terroristes, j'étais en permanence inquiet pour ma femme et ma fille, c'est
pourquoi nous avons fui à Bagdad. Le lendemain de l'attentat contre la cathédrale du Perpétuel Secours, une personne est venue à moto devant chez nous en nous désignant comme des chrétiens... Mon
père a subi la même menace un peu plus loin. Nous sommes partis. Ma famille et moi avons été très bien accueillis ici à Sulaymania ».
Ces témoignages nous émeuvent autant qu’ils nous pétrifient. Nous sommes, malgré la terrible souffrance exprimée, heureux de
voir que ces gens très éprouvés ne sont pas abandonnés. Les derniers témoignages insistent sur l'accueil que la population leur a réservé, sur les aides reçues du gouvernement, sur la grande
fraternité qui unit tous les chrétiens de la ville.